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J’ai très longtemps eu honte d’être gourmande. J’avais envie de pleurer lorsqu’on me disait  » wahou tu as bon appétit quand même »,  » mais tu vas manger tout ça ? »,  » pour une fille de ta taille, t’as un bon coup de fourchette ». J’ai essayé de me restreindre, fait près de 8 ans de restriction cognitive, un trouble du comportement alimentaire dont on parle peu… et dont je n’ai jamais parlé sur le blog jusqu’ici.

Cela fait plus de 2 ans que je n’ai pas pesé un aliment, 2 ans que je ne hurle plus sur ma mère parce qu’il n’y a plus de piles dans la balance de cuisine, 2 ans que je n’essaie pas de calculer discrètement les calories que j’ingère au restaurant en me retenant de demander au serveur combien de foutus cuillères à soupe de sauce il a mis dans la salade et si le fromage blanc est vraiment 0%. 

Trouble alimentaire - restriction cognitive - brocoli - unsplash

Mais la petite voix qui m’a accompagnée pendant des années n’est pas totalement parti. Elle reste bien présente, me rappelant parfois que je n’ai pas suffisamment brûlé de calories, que « ça +ça+ça = tchernobyl calorique » ou me faisant des petites piqûres de rappel  » pas étonnant que tu n’ai toujours pas le corps de tes rêves, vu ce que tu avales ». 

Comme beaucoup, je remercie la société de consommation qui a transformé un besoin vital : » manger », qui devrait être avant tout un plaisir en un casse tête malsain. 

Je crois que je n’en ai jamais parlé ici parce que j’ai toujours eu un peu honte, de cette obsession pour la bouffe qui pouvait devenir en une fraction de seconde ma meilleure amie comme ma pire ennemie. De ses heures à compter chaque grains de riz que j’ingérais pour au final faire des crises de vidage de frigo compulsifs en pleurant. 

Ce soir j’avais envie d’en parler, pas parce que je me sens totalement guérie (l’est on vraiment un jour) mais parce que je vois encore trop de discours très limites sur les réseaux ou dans les magazines qui invitent à un comportement pouvant mener très rapidement à ces troubles.

Mais revenons en aux sources…

La gourmandise, péché coupable

Lorsque j’étais gamine, je mangeais avec appétit. Appétit et plaisir. Je me faisais d’énorme tartines de pain blanc – beurre salé – nutella pour le goûter ( bon j’avoue, rien que d’y penser je me sens défaillir), j’aimais tout, en grandes quantités. Je n’étais pas en surpoids, je me portais bien mais cela ne posait pas de problèmes de santé.

Et puis…l’adolescence arriva. Avec cette période déjà compliquée, débarqua la déferlante de magazines pour ados, de pubs en tout genre et bien entendu d’égéries déjà photoshopées.  Moi qui me sentais ( comme toute bonne adolescente qui se respecte ) déjà mal dans ce corps qui ne cessait d’évoluer, je pouvais à loisir le comparer à tous ces modèles inatteignables. 

C’est à partir de ce moment que je me suis mise au sport punitif, ce sport que je pratiquais surtout pour brûler des calories. Des heures passées à me faire chier sur un elliptique ( je ne remets pas en question la pratique de l’elliptique, ce n’est juste pas ma passion), des tentatives de construction abdominale, des articles sur “comment avoir le corps de mes rêves” plus tard je comprenais que le sport n’était pas l’unique solution…il y avait bien tendu l’alimentation.

Les premiers troubles

Comment mincir sans effort ? Les 7 aliments pour perdre 5 kilos en une semaine ? La nouvelle méthode qui va révolutionner ta vie et ton tour de taille”… je ne compte pas le nombre de magazines et de produits miracles que j’ai acheté avec ces promesses alléchantes.

L’alimentation est devenue un problème. Je prenais des compléments infâmes achetés en secret à la pharmacie. J’avalais salades sur salades en lorgnant avec désespoir sur mes copines tailles 34 qui s’enfilaient des louches de frites. Je ne comprenais pas ce qui clochait chez moi.

Mais surtout j’avais la haine. Contre mon corps, qui n’en faisait qu’à sa tête. Contre toutes ces nanas qui ne brûlaient pas une calorie, bouffaient des burgers et avaient un corps de “rêve”. Contre moi, qui était trop faible pour ne pas reprendre du dessert au repas de famille. Contre ma mère, qui ne comprenait pas pourquoi je me faisais un monde de ne pas pouvoir rentrer dans un 36 et en quoi mes “grosses cuisses me gâchaient ma vie”. Contre ce jean qui ne se fermait pas. Contre mes cuisses, ces foutues cuisses qui ne rentraient pas dans le moule. Contre tout le monde. 

A cette époque je n’avais pas la maturité pour comprendre que la seule chose qui méritait cette haine c’était cette foutue société. Cette société qui m’imposait une vision totalitaire, fausse et dévastatrice du “corps parfait”. Vision que je n’atteindrais visiblement jamais, n’ayant pas le métabolisme et le physique d’une mannequin pour lingerie.

Mais je m’entêtais. Encore et toujours. J’avais peut-être des cuissots récalcitrants mais je savais faire preuve de persévérance. Et au fond je n’acceptais pas tout simplement de ne pas pouvoir arriver à ce corps parfait qu’on me mettait tous les jours sous le nez. 

J’ai testé plusieurs régimes plus ou moins intelligents. La bouffe était mon ennemie, je l’avais bien compris. Alors j’essayais un peu tout et n’importe quoi. Sauf que je n’y comprenais rien, le magazine de juin me disait d’arrêter tel aliment, celui de juillet le mettait sur un piédestal. Certains régimes arrêtaient tous les gras, d’autres en faisaient l’apologie. En plus d’être mon ennemie, c’était un casse tête sans fin.

La chrononutrition

J’ai découvert la chrononutrition aux alentours de mes 19 ans. Le principe de la chrononutrition est très simple et encore maintenant je m’en inspire parfois. Aucun aliment n’est en soit interdit, mais il est conseillé de prendre tel ou tel aliment en fonction de l’heures de la journée. En effet le corps a besoin de différents lipides, de protéines, de sucres lents etc à différents moments de la journée.  Par exemple, le matin, selon la chrononutrition il n’a pas du tout besoin de sucres rapides ( viennoiseries, céréales…). Typiquement le petit déjeuner hyper sucré très français est peu recommandé !

La chrononutrition reprend l’adage assez bien venu « Manger comme un roi le matin, comme un prince à midi et comme un pauvre le soir  ». Elle permet de consommer du fromage, et du chocolat. Je voyais plutôt cela comme un rééquilibrage et non comme un régime, ce mot qui avait fini par me dégoûter. Après tout, rien n’était interdit, et je mangeais du chocolat donc ce ne pouvait être que positif.

J’ai donc suivit pendant de nombreuses années ce principe de chrononutrition, qui portait effectivement très bien ses fruits lorsque je le suivais sérieusement, un peu moins lorsque je passais mes soirées à boire des Mojitos en école ( en même temps, le mojito est moyennement conseillé quelque soit le régime). Pour moi ce n’était pas un régime, mais un rééquilibrage. J’insiste sur ce mot, puisqu’au fond je ne m’interdisais rien, je rééquilibrais, je n’étais donc pas au régime. J’étais donc parfaitement équilibrée.

Une alimentation militarisée

Je me souviens qu’à 22 ans, je faisais mes premières expériences dans le luxe. A cette époque, mai-juin, toutes les femmes autour de moi faisaient des régimes. Il y avait celle qui ne mangeait que des prot ( hum le déjeuner 100% blanc de dinde), celle qui avait testé le régime soupe aux choux…bref les repas à la cantine était assez récréatifs.

Et moi…je prenais mes 5 carrés de chocolat au goûter. Je me sentais légère, je faisais du sport quotidiennement. Ma grand-mère m’avait même dit “ tu es trop maigre”, preuve ultime que j’étais proche du but. Bref tout allait pour le mieux. Je notais tout ce que j’ingérais dans un petite cahier. Tout. Je comptais scrupuleusement mes calories dépensées vs mes calories avalées. C’était… militaire. Mais ça marchait plutôt bien.

Parfois je me faisais un restau avec des potes. J’angoissais plus qu’autre chose de toutes ces calories que j’aurais du mal à comptabiliser. Est-ce que le cuisinier avait mis 2 ou 3 cuillères à soupe d’huile d’olive ? Est-ce que la tarte au citron était plus proche des 500 ou des 600? 

Si je m’octroyais un petit plaisir, je culpabilisais quelques minutes après avoir fini mon assiette. Il n’y avait pas de secret, je n’arrivais pas à obtenir mon corps de rêve parce que je n’avais pas assez de volonté…voilà tout.

La découverte du sport plaisir

Les années sont passées rapidement ainsi. C’était devenu ma manière de consommer, et pourtant avec du recul je réalise à quel point la nourriture était un sujet compliqué. J’oscillais entre un quotidien restrictif et toujours calculé à la moindre calorie et des crises d’hyperphagie où je me retrouvais à dévorer n’importe quoi, n’importe comment. Je notais toujours soigneusement sur mes fichiers excel tout ce que je mangeais. Je ne savais même plus si j’avalais mes 5 carrés de chocolat par plaisir ou par obligation.

Entre temps, ma pratique sportive à évoluée. Du sport punitif je suis petit à petit passé à un sport plaisir. La course à pied, puis le trail et la randonnée. La pratique de sports outdoor plaisir et pas punitif. Tout cela me prenait beaucoup de temps et d’énergie et parfois je me surprenais à oublier de noter un ou deux repas. Ma vie sentimentale aussi, mon boulot, mes potes…toutes ces choses qui me détournaient parfois de mon objectif premier : contrôler la nourriture.

Cela ne m’empêchait pas de péter quelque fois un plomb devant ma mère parce que la balance de la cuisine n’avait plus de piles…et que je ne pouvais donc pas vérifier le poids de mon riz. Mais il y avait parfois du mieux et du lâcher prise.

La révélation

Et puis, en 2017 j’ai décidé de prendre des séances avec une nutritionniste. Je sentais que j’avais un problème, je ne perdais pas de poids, jamais, malgré toutes mes restrictions. J’en prenais même. J’étais frustrée, après plus de 8 ans à contrôler et à faire “ce qu’il faut” je n’avais toujours pas ce corps de mannequin. Je suivais pourtant drastiquement les “bonnes pratiques”, encore et toujours.

J’aimais la bouffe, je la détestais, je ne comprenais pas quel était le problème.

Le rendez-vous était pris. Malgré tout, j’étais très fière de pouvoir répondre avec exactitude à toutes les questions posées par la professionnelle. Je pouvais lui donner un historique presque parfait de tout ce que j’avais ingurgité depuis une décennie.

Mais les grammages très précis des 10 dernières années ne semblaient pas l’intéresser plus que ça puisqu’elle me demanda après quelques minutes d’entretien.

“ Mais, vous prenez encore du plaisir à manger?”

Ah.

J’étais scotché. Parce qu’en plus il fallait prendre du plaisir ? 

Bien sûr que non je ne prenais plus de plaisir à manger. Ou si peut -être pendant la nano seconde où je m’accordais un plaisir coupable…qui était rapidement rattrapé par la réalité et la culpabilité.

Vous souffrez de “ restriction cognitive”

La restriction cognitive est « Une intention de contrôler mentalement ses apports alimentaires dans le but de perdre du poids ou de ne pas en prendre . 

Le fait de sur contrôler ton  alimentation influence la perception de tes sensations alimentaires. Tu souffres d’une forme assez sévère puisque tu n’arrives même plus à reconnaître tes sensations alimentaires. Tu manges mécaniquement, ”.

Je crois que le moment où Tania a mis des mots sur mon comportement a été vraiment libérateur. Moi qui m’étais habitué depuis des années à ce comportement, qui était devenu mon mode de fonctionnement alimentaire, je sentais tout de même qu’il y avait un problème sans réellement comprendre lequel. Après tout, je faisais tout ce qu’il fallait

Nous avons beaucoup échangé là dessus, et tout d’un coup tout prenait sens.

La restriction cognitive comme son nom l’indique est un trouble alimentaire causé par le fait que la personne a modifié son comportement alimentaire au point de ne plus prendre en compte les signaux et perceptions du corps. Exemple typique : je n’ai pas faim le matin mais je mange pour ne pas grignoter avant le déjeuner. J’ai faim, j’ai envie d’un aliment, mais il ne correspond pas à ce que je “dois”manger. Petit à petit, nous ne percevons plus nos sensations alimentaires, notre corps ne diffusent plus de signaux, il n’est pas écouté… Résultat, les seuls signaux reçus sont dépendants de nos émotions (et non de nos véritables besoins). 

Poussée à son extrême, la restriction cognitive est difficile, surtout mentalement. Le fait de devoir tout contrôler, et les dérives associées. Des émotions négatives sont souvent liées : l’angoisse de ne plus rien contrôler, l’impression d’être incapable de suivre le schéma d’un régime et de mincir, la culpabilité.

Le contrôle absolu de l’alimentation n’est pas tenable, surtout lorsque l’on a un mode de vie actif ( boulot, amis) et que la vie est faite de moments partagés ( restaurants, Noël) ! Il y a donc une alternance de contrôle et de moments de relâchement, voir d’alimentation frénétique directement suivi de grosse crise de culpabilité. Les périodes de désinhibition (ou « lâcher-prise) sont assez perturbantes pour soi et pour l’esprit :      au lieu de manger à sa faim des aliments que l’on appelle « interdits » , on mange « d’un coup » beaucoup de cet aliment, et ceci au-delà de la satiété.

Par ailleurs, on en vient à oublier les aspects gustatifs et gastronomiques de l’alimentation. On mange pour manger, les aliments ne sont que des petites croix à cocher dans son agenda nutritif.

C’est ainsi que nous modifions progressivement notre comportement alimentaire sans prendre en compte les signaux envoyés par le corps. 

Quelques années plus tard 

Manger est un besoin primaire, vital. Ce devrait être un plaisir, un moment de partage, de bonheur. Manger devrait aussi aller de soit, nous devrions savoir faire preuve de bon sens. L’être humain reste un animal, même s’il a complexifié beaucoup de chose, qui a des besoins tout simplement et qui interagit avec la nature.

Notre société a réussi à transformer petit à petit notre rapport à ce besoin fondamental en une relation perverse.

En nous imposant des modèles de physiques inatteignables tout en nous noyant copieusement dans la malbouffe, en nous matraquant de publicité pour céréales hyper sucrées entrecoupés de spots anti-cellulite… en très peu de décennies les pays “développés” ont réussi à créer au fond l’impensable : des populations d’êtres humains qui au fond ont “tout”, à savoir l’accès illimité à des quantités de nourriture astronomiques notamment, ont pour beaucoup des troubles alimentaires où l’alimentation est devenue leur pire ennemie. Incroyable quand on y pense non ?

Plus de 2 ans après cette “révélation” mon rapport à la nourriture a beaucoup évolué. Il n’est toujours pas totalement sain, malheureusement mais j’y travaille. Avec le temps j’ai réalisé que j’avais tellement de belles choses à vivre et à faire qu’il était dommage de gaspiller de l’énergie à compter la moindre des calories. Mon côté révoltée s’est aussi mis en marche et je me suis dit que cela ne valait pas le coup de me pourrir la vie pour rentrer dans le moule qu’on m’avait préfabriqué. Mais mes vieux démons ne sont jamais loin, je culpabilise encore souvent de certains écarts et entends encore 

La conclusion ?

Je ne comptais pas écrire le roman de ma vie alimentaire mais finalement…cet article est plus long que prévu. Je pense que malheureusement beaucoup de femmes, et d’hommes entretiennent aujourd’hui une relation complexe avec la nourriture et qu’il est toujours bon d’en parler. Il en faut pas en avoir honte, il faut seulement remettre les choses à leur place.

1 commentaire pour “Des tartines de Nutella à la restriction cognitive”

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