Chaque été, je reçois souvent la même question quand je partage une photo de randonnée avec un lac : peut-on se baigner dans les lacs de montagne ? C’est un sujet de plus en plus épineux et avec l’arrivée de “nouvelles populations de randonneurs ou de bivouaqueurs” nous sommes nombreux à observer des comportements peu respectueux de ces écosystèmes.
C’est sûr, après avoir grimpé sous le soleil, une eau claire et fraîche, ça tente. Je comprends cette tentation. Oui, à force de voir des belles photos et vidéos sur les réseaux de personnes faisant une petite brasse dans un lac magnifique…ça donne envie de faire pareil. Mais à quel prix? Et qui le paye ce prix? Plus je passe de temps en montagne, plus je me renseigne, et plus je vois que ces lacs, ce n’est pas juste joli sur une photo. Ce sont des milieux fragiles, qui réagissent vite à ce qu’on fait.
Alors, faut-il bannir complètement la baignade en lac de montagne ? Pas forcément quand on parle au sens large – ce qui mérite de passer quelques minutes à définir lac de montagne vs lac d’altitude. Certains sites aménagés existent, d’autres lieux sont protégés, et partout, il y a des règles à connaître. Si l’on parle de grands lacs de montagne comme Annecy, Passy ou Montriond, la baignade est évidente : elle est autorisée, surveillée, parfois même aménagée. En revanche, dès qu’on monte en altitude, la règle change. Dans la plupart des cas, la baignade dans les lacs d’altitude est clairement interdite par arrêté ou réglementation locale. Et même lorsqu’aucune interdiction n’est affichée, il est fortement recommandé de ne rien faire : pas de plongeon, pas de trempette “juste pour les pieds”. Pas de petite vaisselle, de lessive au matin et encore moins de kayak ou de paddle. Ces milieux sont trop fragiles, trop petits, et l’impact de nos gestes est disproportionné.
Dans cet article, je vais essayer de t’aider à comprendre : ce qu’est un lac d’altitude, pourquoi il vaut mieux ne pas s’y baigner, et les risques concrets.

Lac de montagne vs lac d’altitude : on parle de quoi ?
On emploie souvent l’expression “lac de montagne” et beaucoup moins “lac d’altitude” comme si elles voulaient dire la même chose. Pourtant, derrière ces mots se cachent deux réalités assez différentes. Comprendre cette nuance, c’est déjà changer son regard sur ces lieux, et mieux saisir les enjeux.
Un lac de montagne, c’est un terme assez large. Il désigne tout plan d’eau situé en zone montagnarde, qu’il soit naturel ou artificiel, petit ou immense. Cela peut être un grand lac de vallée comme Annecy ou Léman, mais aussi une retenue construite par l’homme, ou un petit lac niché dans une combe. Le mot n’a pas de définition scientifique stricte : c’est avant tout un terme paysager. Quand on dit “lac de montagne”, on imagine un décor entouré de sommets, mais on ne dit rien de précis sur l’altitude, la profondeur ou le fonctionnement du milieu.
Un lac d’altitude, en revanche, correspond à une catégorie mieux définie, surtout dans les travaux scientifiques. On parle en général de lacs situés au-dessus de 1 500 mètres (parfois un peu moins ou un peu plus selon les régions). Ces lacs se trouvent à l’étage subalpin et alpin, dans des conditions climatiques extrêmes : longs hivers, glace plusieurs mois par an, eau glaciale même au cœur de l’été. Ils sont souvent d’origine glaciaire, creusés dans une cuvette par les glaciers disparus. Leur eau est claire, pauvre en nutriments – les scientifiques disent “oligotrophe” – et leur écosystème est très simple. Une poignée de micro-organismes, quelques insectes adaptés, parfois des amphibiens, et une flore rivulaire fragile. Tout cela tient dans un équilibre qui paraît robuste quand on arrive sur place, mais qui est en réalité très sensible aux perturbations.
On a l’impression, assis au bord du lac Blanc ou du lac d’Anterne, d’être devant une immensité sauvage. Mais en réalité, ce sont de petits volumes d’eau, parfois à peine quelques hectares, qui se renouvellent lentement. Leur beauté – cette transparence presque irréelle – est justement le signe de leur pauvreté biologique. Cela veut dire que chaque apport extérieur, chaque pas répété sur une rive, chaque produit qui se dilue dans l’eau, peut avoir un impact disproportionné.
En résumé : un lac de montagne peut être n’importe quel plan d’eau en zone montagnarde, sans distinction d’altitude ni d’origine. Un lac d’altitude, lui, désigne ces petits lacs perchés au-dessus de 1 500 m, froids, oligotrophes, souvent glaciaires, et particulièrement vulnérables. Ce sont eux qu’on retrouve dans nos randonnées d’été, au détour d’un col ou sous une falaise, et ce sont eux qui suscitent à la fois l’envie irrésistible d’un plongeon et la nécessité de se poser la question : est-ce vraiment une bonne idée ?

Peut-on se baigner dans les lacs de montagne ?
Une fois qu’on a fait la distinction entre lac de montagne et lac d’altitude…on comprend mieux les différentes réglementations et impacts. Si l’on parle d’un lac de montagne au sens large – comme le lac d’Annecy, le Léman ou même le lac de Passy – la réponse est évidemment oui. Ces grands lacs, bien que situés en contexte montagnard, ne sont pas fragiles de la même manière qu’un petit lac perché à 2 000 mètres. Leur taille, leur profondeur, le renouvellement de l’eau et la surveillance sanitaire permettent d’y pratiquer la baignade sans danger particulier pour l’écosystème, tant qu’on respecte les zones prévues. Ce sont d’ailleurs des lieux où les autorités mettent en place des plages, des zones surveillées, et contrôlent régulièrement la qualité de l’eau.
En revanche, quand on parle de lacs d’altitude, la réponse change complètement. Ces lacs sont situés en général au-dessus de 1 500 m, souvent glaciaires, et possèdent des caractéristiques qui les rendent très différents des grands lacs de vallée. Leur eau est froide, pauvre en nutriments, leur écosystème est réduit à quelques espèces adaptées, et leur renouvellement est lent. Ce sont de petits volumes d’eau, très sensibles aux perturbations. Ici, la baignade n’est pas “interdite” partout de manière officielle, mais elle est presque toujours déconseillée. Certains sites la prohibent clairement par arrêté (dans des réserves naturelles par exemple), d’autres se contentent de recommandations. Et même là où rien n’est écrit, les gestionnaires de la montagne insistent : un lac d’altitude n’est pas une piscine naturelle.
Cette distinction est fondamentale : dire “lac de montagne” peut donner l’impression que tous les lacs entourés de sommets sont égaux face à la baignade. Mais ce n’est pas vrai. Dans les faits, il faut différencier les grands lacs de plaine montagnarde, faits pour la baignade et surveillés, et les lacs d’altitude, petits, froids et fragiles, où chaque passage de randonneur compte.
Tu n’es pas convaincu(e)? Cela mérite peut-être de passer un peu de temps pour comprendre le “pourquoi” qui te permettra je l’espère de réfléchir aux conséquences de ta baignade et de celle de centaines de personnes avant ou après toi peuvent avoir.

Pourquoi ne pas se baigner dans les lacs de montagne en altitude
Avant tout, on parle bien ici de la baignade en lacs de montagne d’altitude (petits volumes, au-dessus d’environ 1 500 m, eau froide, vie discrète). La nuance change tout : en altitude, le milieu est pauvre en nutriments, lent à se renouveler, et la zone la plus fragile est justement celle où l’on met les pieds — les premiers mètres de rive.
Il n’existe pas d’interdiction nationale généralisée, mais la plupart des communes, parcs et réserves prennent des arrêtés ou rappellent l’interdiction. Dans les faits, beaucoup de lacs d’altitude sont donc interdits à la baignade, et quand ce n’est pas le cas, la recommandation officielle reste la même : éviter.
1) Un petit volume d’eau, un grand effet cumulatif
À l’échelle d’une personne, un bain paraît anodin. À l’échelle d’une journée d’été, avec des dizaines de randonneurs, l’addition change d’ordre de grandeur. Dans un petit lac froid, l’eau se mélange et se renouvelle lentement ; ce qu’on y introduit (particules, substances, chaleur, matières en suspension) reste plus longtemps. On ne voit pas l’impact tout de suite, mais il s’installe au fil de la saison.
2) Un milieu oligotrophe qui réagit vite
La “belle transparence” des lacs d’altitude, c’est le signe d’une faible productivité biologique. C’est magnifique… et vulnérable. Ajouter des apports extérieurs (même minimes) peut modifier la base de la chaîne alimentaire (micro-organismes, phytoplancton), avec des répercussions en cascade. Dans un milieu simple, chaque variation pèse plus lourd.
3) La pollution invisible (cosmétiques, textiles, répulsifs)
Crème solaire, lait corporel, parfum, répulsif moustiques, résidus de lessive : au contact de l’eau froide, tout migre. Certains filtres UV et conservateurs sont détectés en montagne ; ce n’est pas “catastrophique” en soi, mais hors de propos dans un petit écosystème fermé. Même logique pour les microfibres libérées par nos textiles techniques : une baignade, puis dix, puis cinquante… et le lac reçoit des apports artificiels qu’il ne sait pas traiter *² *³.
À cela s’ajoutent parfois des proliférations de cyanobactéries lors de périodes de chaleur, qui peuvent libérer des toxines irritantes ou dangereuses pour l’homme et les animaux.
4) La rive, zone la plus fragile
C’est là qu’on pose nos sacs, qu’on entre dans l’eau et qu’on ressort. C’est aussi la nurserie du lac : œufs d’amphibiens, larves d’insectes, plantes aquatiques. Piétiner, racler, déplacer des pierres pour “se faire une cale” trouble l’eau, écrase la petite faune et accentue l’érosion. Répété tout l’été, le trait de côte se marque et la végétation peine à revenir.
5) Dérangement de la faune et introduction de micro-organismes
La baignade, c’est du bruit, des mouvements : pour les espèces qui vivent au ras de l’eau (tritons, grenouilles, libellules), c’est un gros stress en période de reproduction. Autre point rarement évoqué : on peut importer des micro-organismes indésirables (spores, bactéries, champignons) via nos peaux, chaussures ou serviettes humides, d’un site à l’autre. Dans un petit lac isolé, cela peut faire une vraie différence.
6) Sécurité : le froid n’est pas un détail
Même en plein mois d’août, l’eau d’un lac d’altitude reste très froide. Le corps, chauffé par la marche et le soleil, réagit brutalement à l’immersion : hyperventilation réflexe, accélération du rythme cardiaque, risque de malaise. Le fameux “choc thermique” n’est pas une légende ; des travaux de physiologie détaillent bien ce réflexe d’inspiration incontrôlée dans l’eau froide *¹. En altitude, les secours ne sont pas toujours proches et la baignade “juste pour deux minutes” peut mal tourner.
7) L’effet d’entraînement
C’est probablement le point le plus concret sur le terrain. Voir quelqu’un se baigner donne l’idée aux suivants. En une journée, on passe d’un geste isolé à une habitude. Le lendemain, d’autres feront pareil “puisque c’est autorisé” (ou “puisque tout le monde le fait”). C’est comme ça que certains lacs deviennent des spots de bain improvisés… jusqu’au jour où il faut poser une interdiction, parce que le site s’abîme.
8) Logique de responsabilité
Il existe des lieux prévus pour la baignade en montagne : bases de loisirs, plages surveillées, biotopes filtrés par les plantes, zones clairement délimitées. Utilisons-les pour nager. Et gardons les lacs d’altitude pour ce qu’ils offrent de mieux : la contemplation, l’observation, le pique-nique à distance de l’eau, les pieds au sec. Ce n’est pas de la frustration ; c’est une manière simple de laisser le milieu tranquille et d’éviter l’escalade “un bain n’a jamais tué un lac”. Au-delà de l’écologie, ces lacs ont aussi une valeur culturelle et symbolique : toponymes anciens, récits, pastoralisme. Les respecter, c’est prolonger un lien millénaire entre les habitants des montagnes et leurs eaux.

Conclusion & alternatives responsables
Au fond, la question de la baignade en montagne n’est pas seulement une histoire de règles ou d’interdictions. C’est une manière de se situer face à la nature. Tu peux choisir de plonger, de laisser une trace… ou de rester sur la rive, de regarder l’eau, d’écouter le silence, et d’accepter que tout ne nous soit pas destiné.
La montagne n’a pas besoin qu’on en fasse toujours plus : parfois, la meilleure façon d’en profiter, c’est d’en faire un peu moins. Garder le corps au sec, mais les yeux grands ouverts.
Et si tu veux vraiment nager, il existe des lieux pensés pour ça — des lacs de plaine, des bases de loisirs, des biotopes aménagés. C’est là qu’on peut se jeter à l’eau sans remords. Les lacs d’altitude, eux, gardons-les comme ils sont : fragiles, beaux, intacts.